Il n'est pas question ici de remettre en cause les vertus du bilinguisme, c'est une richesse
qu'il faut à n'en pas douter promouvoir. Intéressons-nous au bilinguisme avancé comme un atout pour aborder la traduction d'un document. Le bilinguisme est communément défini par la maîtrise parfaite et égale de deux langues, sans préférence pour l’une ou pour l’autre. En réalité,
le bilinguisme parfait n’existe pas, et ce, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il y a toujours une langue dominante, que le locuteur manie avec plus d’aisance que l’autre. Ensuite, les personnes dites bilingues n’ont pas les mêmes connaissances dans chacune des langues, car elles les emploient souvent dans des contextes différents (famille, amis, travail…). Dans ce cas, les deux langues sont complémentaires. Enfin, il arrive parfois que les personnes bilingues n’aient qu’une maîtrise approximative des deux langues ; l’apprentissage d’une langue constitue souvent un obstacle à l’épanouissement de l’autre. Ce bilinguisme imparfait ne constitue donc pas une qualité supérieure dans l’exercice du métier de traducteur. Et quand bien même il aurait été parfait, il n’aurait pas été suffisant, car
parler plusieurs langues couramment et traduire, sont deux exercices différents. En traduction, c’est la compétence écrite qui est mobilisée. Ainsi, il existe de très bons traducteurs qui ne parlent pas couramment les langues qu’ils traduisent mais qui ont d’excellentes compétences écrites dans ces langues ! Il convient de souligner une autre différence de taille : la personne bilingue utilise spontanément l’une ou l’autre des deux langues dans des contextes différents alors que le traducteur exprime dans une langue (langue cible) un message exprimé dans une autre langue (langue
source) avec exactitude, justesse et précision, dans un même contexte. Cet exercice suppose de prendre du recul par rapport à la langue source pour préserver l’authenticité de la langue cible. Une aptitude qui fait parfois défaut chez les personnes dites bilingues.
En effet, elles ont tendance à tomber dans le piège du calque et de l’emprunt pour exprimer une même idée, tout ce que l'on cherche à éviter en traduction. En outre, le métier de traducteur requiert d’excellentes qualités rédactionnelles, une solide culture générale, de riches connaissances dans un domaine de spécialisation particulier et… du talent, chose que le bilinguisme ne garantit pas non plus. Un autre principe qu’il convient de rétablir et qui
découle du bilinguisme imparfait : en traduction, on considère qu’un individu n’a qu’une seule langue maternelle. De ce fait, il est extrêmement rare qu’un traducteur soit capable de traduire, par exemple, du français vers l’espagnol et de l’espagnol vers le français avec le même niveau de qualité étant entendu que le traducteur ne traduit que vers sa langue maternelle. Par conséquent,
le bilinguisme (imparfait) ne confère pas non plus la capacité à traduire dans les deux sens. Le lien entre traduction et bilinguisme est donc loin d’être évident…
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