Chères lectrices, chers lecteurs,

Le dernier débat des chefs, jeudi, en français, a été nettement plus intéressant que les deux précédents. Les questions du public étaient pointues. Celle dont on a le plus parlé a été posée par Lise Pigeon, atteinte de la sclérose en plaques. Les chefs s’engagent-ils à alléger les critères de la Loi sur l’aide médicale à mourir ? Ils ont répondu par l’affirmative. Cela survient après la récente décision de la Cour supérieure, qui a conclu que les critères concernant l’accès à cette aide sont trop restrictifs. Les chercheurs Trudo Nemmans, de l’Université de Toronto, et Laverne Jacobs, de l’Université Windsor, croient «fermement», au contraire, que Québec doit faire appel de ce jugement. «Les personnes handicapées s'inquiètent depuis longtemps de la façon dont les lois et les politiques reflètent la perception selon laquelle leur vie ne vaudrait pas la peine d'être vécue», écrivent-ils. Car la loi sur l'aide médicale à mourir survient dans un contexte où il y a déjà un manque d'accès à des soins adéquats et une stigmatisation des personnes handicapées, disent-ils. Subiront-ils indûment de la pression pour «mourir dans la dignité», si d’aucuns jugent que leur vie est indigne? 

L’affaire SNC-Lavalin est aussi revenue sur le tapis, jeudi soir. Justin Trudeau a réitéré ce qu’il a dit lors du débat en anglais : son intervention auprès de la ministre Wilson-Raybould n’avait pour but que de sauver des emplois. Eh! bien, on peut lui reprocher bien des choses, écrit Bill Flanagan, de l’Université Queen’s, mais sur ce point, il a bien raison. C’est précisément à cela que sert un Accord de poursuite différée, un ajout récent au Code criminel, qui a pour but que les employés ou les clients d’une entreprise accusée de corruption ne soient pas injustement punis. Des procureurs de nombreux pays, comme les États-Unis, négocient régulièrement ce genre d’accord. «Les fonctionnaires canadiens devraient en faire autant.»

Mardi, des militants d'Extinction Rebellion ont escaladé la structure du pont Jacques-Cartier, à Montréal, pour y installer une banderole dénonçant l’inaction sur le climat, causant tout un émoi. Ce geste est tout à fait ce à quoi nous devons nous attendre, écrit Pascale Dufour, de l’Université de Montréal, soit une radicalisation d'une certaine frange du mouvement pour le climat, qui demeure un immense fourre-tout, comme on l’a vu lors de la marche historique du 27 septembre. «Les enjeux environnementaux sont portés par une kyrielle de personnes, de réseaux et d’organismes, mais sans parapluie clair», écrit-elle. Les demandes sont très diverses, souvent peu précises. Pour l'instant, «le jeu politique se déroule dehors, dans la rue». 

Quelle mauvaise idée de s’attaquer à l’aide internationale, s’insurgent John D. Cameron et Robert Huish, de l’Université Dalhousie. C’est pourtant ce que deux chefs de parti, Maxime Bernier et Andrew Scheer, proposent de faire. L'aide au développement a ses problèmes, certes (sous-financement, manque d’efficacité, politisation), mais elle est cruciale pour réduire l'extrême pauvreté, estiment les chercheurs. Et elle favorise d'importantes relations internationales qui profitent à tous les Canadiens. 

La récente et très controversée étude sur la viande rouge (en manger n’a pas d’incidence sur votre santé), remet en question de nombreuses autres recherches disant exactement le contraire. Elle a aussi mis en lumière les nombreuses contradictions de la science de la nutrition. Le gras, le sucre, le sel… On dit une chose et son contraire. Mais ces contradictions sont normales, dit Richard Hoffman, de l’Université de Hertfordshire, car l’être humain est trop diversifié pour qu’une seule étude ne soit pertinente. «Une politique nutritionnelle universelle n'a pas plus de sens que de calculer la pointure moyenne d'une population et de recommander que tout le monde porte cette pointure», écrit-il. Il faut changer la démarche scientifique. Et en attendant, prendre le bon pari avec un régime alimentaire sain qui a fait ses preuves et qui a résisté à l'épreuve du temps : le méditerranéen. 

On ne vous apprend rien en vous disant que bien des gens sont accros à leurs écrans, et pas que les jeunes. La professeure Najmeh Khalili-Mahani, de l’Université Concordia, s’est demandé ce qu’en diraient deux des plus influents penseurs canadiens du siècle dernier, le pionnier de la communication, Marshall McLuhan et l’inventeur de la théorie du stress, Hans Selye.

Enfin, c’était la semaine de remises des Prix Nobel, et le Canadien Jim Peebles a été honoré, avec deux de ses pairs, du prestigieux prix en physique. James Geach, de Hertfordshire, raconte le parcours scientifique exceptionnel de ce diplômé de l’Université du Manitoba, le qualifiant de «plus grand cosmologiste vivant». Il a participé à la naissance de cette branche de la physique «qui a révolutionné notre vision du cosmos et de la place que nous y occupons». Ses manuels ont formé des générations de cosmologistes. «Et ils seront pertinents pour des années à venir.»

Bonne lecture !

Martine Turenne

Éditrice, La Conversation Canada

À la une

Jean Truchon, à droite, observe l'avocat Jean-Pierre Ménard réagir à la décision d'un juge du Québec d'infirmer, le 12 septembre 2019, des parties des lois provinciales et fédérales sur l'assistance médicale à la mort. La Presse Canadienne/Graham Hughes

Aide médicale à mourir: voici pourquoi il faut aller en appel

Trudo Lemmens, University of Toronto; Laverne Jacobs, University of Windsor

Un juge ne doit pas être autorisé à restreindre le pouvoir du Parlement de promouvoir des intérêts sociétaux plus larges et de protéger les personnes âgées, malades et handicapées.

Justin Trudeau s'est servi du débat en anglais pour défendre ses actions dans l'affaire SNC-Lavalin après avoir été accusé par le chef conservateur Andrew Scheer de s'être ingéré dans le processus judiciaire. La Presse Canadienne/Sean Kilpatrick

SNC-Lavalin: Justin Trudeau affirme avoir voulu sauver les emplois. Il a raison

Bill Flanagan, Queen's University, Ontario

Il y a de nombreuses raisons de critiquer la façon dont le premier ministre Justin Trudeau a traité le dossier SNC-Lavalin. Mais pour ce qui est de sauver des emplois, il avait raison.

Une coopérante humanitaire canadienne prend soin des enfants d’un orphelinat à Haïti en avril 2010. Haiti et d’autres pays pauvres seraient pénalisées par les propositions avancées par Andrew Scheer et Maxime Bernier de sabrer dans le budget canadien d’aide internationale. AP Photo/Ramon Espinosa

Couper l’aide humanitaire aux plus démunis, c’est inhumain

John D. Cameron, Dalhousie University; Robert Huish, Dalhousie University

L'aide au développement a ses problèmes. Néanmoins, elle est cruciale pour réduire l'extrême pauvreté. Et elle favorise d'importantes relations internationales qui profitent à tous les Canadiens.

Des manifestants prennent part à la marche pour le climat, le 27 septembre, à Montréal. La Presse Canadienne/Paul Chiasson

Manif monstre pour le climat : des intérêts trop divergents nuisent à la lutte

Pascale Dufour, Université de Montréal

Il n’y a pas de débat partisan sur la question climatique pour le moment. Le jeu politique se déroule dans la rue. Les enjeux sont portés par une kyrielle de personnes, de réseaux et d’organismes.

Manger de la viande rouge est-il sécuritaire, comme l'affirme une récente étude, ou l'inverse? La science de la nutrition connaît des ratés, en raison des -trop nombreuses- exceptions. Shutterstock

L'étude sur la viande rouge a fait scandale - voici ce dont on n'a pas parlé

Richard Hoffman, University of Hertfordshire

Une politique nutritionnelle universelle n'a pas plus de sens que de calculer la pointure moyenne d'une population et de recommander que tout le monde porte cette pointure.

shutterstock.

Accros aux écrans: qu'en diraient McLuhan et Selye, deux grands penseurs canadiens?

Najmeh Khalili-Mahani, Concordia University

Beaucoup d'entre nous pensent que les écrans nous stressent. Nous n'avons pas tort.

file olfu. Princeton University/EPA

Prix Nobel de physique : le Canadien James Peebles, est-il le plus grand cosmologiste vivant ?

James Geach, University of Hertfordshire

Le cosmologiste de Princeton nous a aidés à mettre au point notre modèle actuel de l'univers et a commencé une toute nouvelle branche de la physique.