Vivre en marge
De Dave Bookless, A Rocha (extrait de son blog Janvier 2016)
J’ai récemment passé la nuit dans une maison de campagne et décidé de me lever de bonne heure pour aller marcher. Il faisait un froid de canard, le sol était dur comme de la pierre, sur les sillons et sur les haies, les cristaux de gelée blanche renvoyaient un kaléidoscope de couleur répondant au soleil qui pointait lentement au-dessus de l’horizon. Alors que j’avançais d’un pas lourd sur le chemin qui longeait les champs, marchant vite pour me réchauffer, je scrutais du regard pour découvrir des signes de vie sauvage. Mis à part quelques lièvres et des corbeaux quittant leur perchoir, les champs étaient nus. Pourtant les haies et la lisière des champs foisonnaient de vie. Les programmes européens en faveur d’une agriculture soucieuse de la conservation des espèces faisaient que les bordures des champs étaient larges et couvertes d’herbe, où des
nuées de pinsons, chardonnerets, linottes et bruants jaunes se disputaient les graines et s’élevaient en volées bruyantes et colorées. Dans l’herbe longue, il y avait la piste à moitié effacée de loirs gris, de campagnols des champs et de musaraignes, et des crécerelles planaient pour les chercher à l’aide de leur vision ultraviolette. Lapins et faisans slalomaient entre les pieds des buissons pour m’éviter.
La riche diversité des marges était en total contraste avec la nudité des champs. Quelle absurdité de la part des économistes et des agronomes que de dire « améliorés » les déserts de l’agriculture commerciale, traités chimiquement, tandis qu’ils appellent « non améliorée » la richesse naturelle des marges. Cependant, la richesse de vie à la marge m’a fait réfléchir. Quelques jours plus tôt, j’avais donné un coup de main pour un asile de nuit hivernal organisé par notre Église pour les hommes migrants sans domicile de Southall, dans la banlieue de Londres. Ces personnes vivaient à part, en marge non améliorée de la société, tributaires des restes alimentaires. Beaucoup d’entre elles étaient en proie à des dépendances et à des problèmes de santé mentale, confrontées aussi à la confusion créée par une langue et une culture étrangère, ainsi qu’à la
déception de rêves brisés. Elles ne représentaient qu’une fraction des millions de marginalisés dans notre monde déchiré, forcés à part par les conflits et le climat. Leur dignité m’a impressionné quand ils cherchaient à m’aider à replier leur lit de camp et ranger leur literie avant de repartir dans le froid.
Réfléchissant à ces deux expériences de vie en marge, le récit biblique de Boaz et Ruth m’est venu en mémoire. Dieu prend soin de ceux qui sont à la marge - humains et non-humains - et il nous appelle à les accueillir avec chaleur, à partager avec eux la générosité que Dieu offre dans sa création. La vie n’est pas faite pour maximiser le rendement économique à tout prix, humain ou écologique, la vie est faite pour approfondir les relations et reconnaître nos liens avec ceux qui sont en marge.
En poursuivant ma réflexion, j’ai pris conscience de la fréquence avec laquelle Dieu parle des marges pour nous rendre conscients de notre stérilité. Jérémie, Ézéchiel et Jean le Baptiseur, comme beaucoup d’autres prophètes, ont vu les choses plus clairement parce qu’ils étaient en marge, imperméables aux effets polluants d’une société toxique. Dans notre monde globalisé, alimenté en combustibles fossiles, accroché aux faux dieux de la croissance économique effrénée et des excès consuméristes, nous devons écouter ceux qui sont en marge. Nous devons entendre la voix des réfugiés, poètes et prophètes, et le cri des dernières alouettes et tourterelles qui nous préviennent des catastrophes et nous invitent à vivre mieux autrement.
Enfin au moment où j’écris, alors qu’A Rocha UK
inaugure la nouvelle initiative
EcoChurch, je crois qu’un appel prophétique est lancé aux communautés chrétiennes, les appelant à aller vers la marge. Nous devons vivre en mettant en évidence une vision différente, en devenant les modèles de valeurs alternatives aux discours du courant dominant. Nos Églises peuvent servir de modèle d’une façon de vivre qui célèbre la vie en marge, accueille l’étranger, prend soin de la biodiversité et met en évidence l’abondance et la joie qui naissent du partage et de la simplicité. Puis-je donc vous encourager à
faire avec moi l’effort de chercher, écouter et apprendre de ceux qui sont en marge ? Ce faisant, nous pourrions bien découvrir que Jésus nous y a précédés.
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